PRÉSENTATION

PROPOS

Pourquoi je peins


« Je suis prête à croire que la peinture peut être pour tous ce qu’elle est pour moi : une voie d’accès à nos émotions les plus profondes, à ce centre silencieux duquel on s’écarte si souvent dans l’agitation et la multitude. Peut-être n’est-elle pas en elle-même sacrée, mais elle mène à ce qui, en nous, l’est, et, par là, sa pratique prend une forme de sacerdoce : être celui ou celle à qui le temps est donné de regarder le monde, d’oser s’en émouvoir, de tenter de le « figurer », c’est-à-dire de vouloir trouver le visage de la Nature, celui des êtres, auxquels s’additionne la conscience aimante. »

« Cet élan reste rarement sans réponse et, un jour, un écho se fait entendre : telle toile a soudain, pour tel être, renversé le miroir de la réflexion, et il y retrouve, par on ne sait quelle fraternité, l’émouvante densité du temps suspendu. »

« À propos d’autoportrait », Marie Laurence Gaudrat, Somogy, 2001

Le métier


« Il arrive que certaines de mes toiles soient faites rapidement, sous une impulsion vive, et parfois cela sort très heureusement. C’est comme une charge de ce que j’ai aimé et vu qui jaillit pareille à une évidence. Mais à l’inverse, il y a des toiles que je reprends longuement. Séance après séance, ce sont des moments de contemplation fascinante, entretenus par l’illusion de vouloir créer la vie. Or, comme à chaque fin de séance, je n’ai guère créé la vie, quoique j’aie eu l’impression d’avoir été à son contact, cent fois je me remets à l’ouvrage. […] Pour peindre, j’ai besoin d’avoir la personne devant moi, dans une certaine immobilité sous la lumière, ce qui est en soi un sujet inépuisable. Et comme je n’ose pas martyriser les êtres qui ont la bienveillance de poser pour moi, je leur laisse prendre une position relativement abandonnée. C’est aussi simple que cela ! Bien sûr, j’aurais adoré peindre des Apollon sur leur char dans un soleil levant avec quatre chevaux caracolant dans tous les sens, mais comme cela ne s’est jamais présenté… »

Grandes Écoles Magazine, juin 2002.
Autoportrait - 9x9

Maurice Mazo


« Mazo est cet artiste valeureux dont toute la vie est étrangement consacrée à réaliser son œuvre et à remonter le courant du siècle dont le plus grand empressement semble celui d’abandonner le métier, le savoir et, ce qui va de pair avec le savoir, une foi en un monde splendide, rayonnant. Son œuvre est foisonnante de santé, resplendissante de forces vitales, et Pierre du Colombier avait remarqué, dès qu’il en eut connaissance lors d’une exposition de 1947, à quel point elle n’avait aucun rapport avec tout ce qui l’entourait. Dès la jeunesse de Mazo, il y avait une opposition entre cette abondance, cette générosité, cette exaltation de la vie, et le paupérisme, cette volonté de faire sec, maigre, sévère, qui était à la mode. Mazo me disait avec une certaine ironie : « C’est notre époque qui est comme ça : elle feint d’aimer les choses d’une grande austérité alors qu’elle est dévergondée ! Si encore elle était austère, bon ! ce serait magnifique. Mais non, c’est par compensation ! »

Causerie donnée le 22 février 1995 à la mairie du VIIe arrondissement de Paris.

Sur un film de Gérard Blain


« Dès le premier plan d’Ainsi soit-il, on ressent qu’il va falloir se mesurer à une forme d’émotion pleine, qui ne se disperse pas dans le commentaire et m’a presque tout au long évoqué beaucoup plus la peinture, la belle peinture méditative, que le cinéma. Toutes ces images presque immobiles d’intériorité, ce leitmotiv du baiser à la mère – comme une Visitation ou l’embrassade des bienheureux dans le Jugement dernier de la Sixtine – les frises déroulées comme une procession à fresque des deux jeunes filles – pourtant on ne peut plus « d’aujourd’hui » – se prolongent et se rappellent à la mémoire bien après la fin du récit. J’aime que les choses les plus pathétiques, au lieu de nous écraser, nous purifient. »

Contrelittérature, n°3, été 2000.

Extrait radio


Extraits de l’émission « Le Libre Journal de Jean-Gilles Malliarakis », Radio-Courtoisie, 15 février 2002.

" Conversation en Grésivaudan " avec Jacques Mougenot - Catalogue de l'exposition Grenoble 2011

Pourquoi exposer, d’abord ? Exposer, bien sûr, c’est une façon de présenter mon travail mais aussi de rassembler des toiles en tentant de donner une cohérence à l’ensemble. Cela me guide dans mon travail de préparation, même si j’avance d’abord très librement. Le lieu aussi compte beaucoup et suscite des idées, des envies. Le Pavillon m’a plu d’emblée et la perspective de présenter ma peinture dans cette architecture de mémoire martiale, au centre de ce quartier neuf, cet « éco-quartier », cela ne m’a pas semblé incongru. Je me suis aperçue que ce caractère n’était pas sans influence puisque j’ai eu souvent recours au format carré – c’est peut-être le seul rapport entre ma peinture et l’esprit militaire qui a régné en ces lieux !

Mais, oui, pourquoi Grenoble ? J’y ai beaucoup de liens affectifs – j’ai d’ailleurs exposé jadis au Centre Ville. J’y ai des amis très chers et bien souvent je suis venue les visiter. Mais curieusement, je n’avais jamais peint dans la région. Quand je m’y suis arrêtée à nouveau au retour d’un séjour de peinture en Suisse, ce projet d’exposition est né soudain d’un concours d’évidences d’autant plus séduisant que mon passage était improvisé. Je passais donc embrasser des amis, ils m’entraînent au débotté chez leurs hôtes, qui ne m’attendent pas mais m’accueillent chaleureusement. Et là, dès le jardin, je tombe en arrêt, sous le charme du vaste déploiement de la chaîne de Belledonne, le soir. Je me retourne et j’aperçois derrière les vitres de leur maison de grands tableaux que je devine immédiatement être de Flandrin. Ce n’est pas à des grenoblois que je vais faire le panégyrique de Flandrin, mais ce qui m’a touché si fort, c’est cet accord, très intemporel, d’un artiste avec son pays et un grand savoir qui ne se fait donner la leçon par aucune mode mais qui s’accomplit dans l’audace d’être soi. J’ai dîné là dans la meilleure compagnie, un peu soulevée par cette sorte d’extase que donne la peinture à ceux qui la goûtent. Bref, on cause et en un instant le désir de revenir, de peindre dans cette nature somptueuse se met en ordre et rien ne me paraît plus juste et nécessaire. De l’émotion suscitée par ces beaux tableaux, mêlée au spectacle du soir descendant sur Belledonne, m’est venue l’envie de répondre avec enthousiasme à la généreuse proposition d’exposer au Pavillon de Bonne ! Je remercie vivement la SAGES pour son accueil, ainsi que tous ses responsables – et en premier lieu Patrick Le Bihan.

Je suis donc redescendue m’installer dans une maison amie, au cœur de La Grande Chartreuse et j’ai « peint sur nature », dans la radieuse permanence d’un anti-cyclone qui ne poussait pas trois nuages dans les cieux du Dauphiné.

Il y a en Dauphiné cette belle école de peintres paysagistes qui illustre cela parfaitement. Cependant, il y a souvent un malentendu à ce propos, comme si cette discipline appartenait au passé. « Peindre sur nature » ce n’est pas planter son chevalet quelque part et faire un « paysage qui ressemble » (quoiqu’on peut dire avec Stendhal « faire ressemblant : suprême bonheur pour un artiste » !), toutes les techniques modernes de captation de l’image y suppléeraient. Il y a quelque chose pour le peintre que la photographie ne peut pas remplacer et qui laisse un avenir sans fin à la peinture de paysage ! Ce quelque chose, c’est la conjonction d’un désir préconçu de tableau et de l’émotion suscitée par la chose vue. C’est une alliance entre la disposition intérieure du peintre et l’infini proposé du paysage. Et cela impose un temps de méditation, d’absorption, de décision et aussi de liberté. C’est beaucoup de cet exercice que le peintre tire son tourment et sa joie ! Comme tout artiste, comme tout homme, il a besoin d’être arraché à l’enfermement de son petit moi en même temps qu’il aspire à dire intimement ce qu’il est, ce qu’il ressent, ce qu’il voit. Or, on ne voit vraiment que lorsqu’on sait qu’on voit, quand on ose choisir et qu’on met toutes ses forces à ordonner, comprendre. Enveloppant cet exercice, la douceur de l’air ou sa froidure, l’infini ou l’intime du sujet vous remuent assez pour vous arracher à la « vision d’habitude » et vous faire entrer dans un état proche de la communion. Ce travail sur nature rassemble et résume assez bien les divers aspects de la peinture : imaginer, se souvenir, observer, composer, construire. Et c’est cette envie qui fait sortir, tout armé, au petit matin, le peintre qui va au paysage !

C’est vrai, pour ce séjour en Grande Chartreuse je me suis proposé une contrainte de petits formats avec l’idée de pouvoir pérégriner beaucoup, parce que j’avais envie de faire connaissance avec tous ces lieux aux noms ravissants : Chamechaude, le Charmant Som, le Clos des Capucins, la Vallée du Grésivaudan, les Déserts d’Entremonts et tant d’autres. Ces petits formats imposent leur rythme de concentration et l’on tâche d’y faire entrer l’espace et la fugacité des lumières sur un mode d’étude en continu ; les aubes et les crépuscules fécondent les travaux du lendemain, tandis que les heures du milieu du jour, les plus stables mais les moins « montées de ton », permettent des séances de quatre ou cinq heures. On est déjà au Paradis, si, après une grande journée, il reste des forces pour noter le soir absorbant dans son incandescence les hautes silhouettes des monts qui étaient cobalt au matin.

Bien sûr, les lettres des paysagistes sont presque toujours désespérées… car ils écrivent justement quand le temps les trahit, les contraint à s’abriter. Inaction, souffrance !

Non et oui ! Il l’est dans la mesure ou la peinture l’emporte, à la longue, sur le sujet. Il s’agit surtout de charger une petite lampe qui brûlera après nous ! De laisser advenir une équivalence vivante. Devant un paysage, il n’y a pas de tableau, bien sûr, il y a la nature, la splendeur immense ou la banalité des choses. Peindre ce n’est pas s’attacher au pittoresque, encore moins reproduire – et quoi reproduire ! C’est d’ailleurs pourquoi la peinture ne s’est pas éteinte, quoi qu’on dise, à l’apparition de la photo et qu’elle ne s’éteindra pas quelque éclipse qu’elle subisse. Mais on ne va pas relancer le faux débat qui oppose figuration et abstraction.

Faux débat, je crois, parce que toute peinture est abstraite, quelle qu’elle soit ! D’abord parce qu’on part de ce néant d’un support vierge – mais surtout parce que, comme le définit le Larousse : « l’abstraction est l’opération de l’esprit qui isole d’une notion un élément en négligeant les autres ». C’est la définition même de la peinture. Nous sommes tous des peintres abstraits, mais à travers nos choix, on exprime qui on est. L’abstraction n’est pas née d’hier, elle est dans toutes les œuvres de tous les temps, infiniment, intelligemment, subtilement induite par les artistes. Elle n’est pas le rien mais le rapport des choses entre elles. Pour qu’il y ait rapport, il faut qu’il y ait des choses. Les belles œuvres sont toujours abstraites mais elles sont sensibles et nous parlent un langage humain. La cathédrale de Chartres, les fresques de Pompeï, une danseuse de Degas : abstractions. C’est à travers les apparences qu’on atteint l’au-delà des apparences. Pour moi, ne pas avoir droit à la représentation correspondrait à ne pas avoir le droit de me tenir debout, de parler, d’agir…. Ce serait l’hébétude absolue. Alors qu’en me confrontant au réel, j’entre dans la jubilation de l’agir et du choix.

Oui, quel que soit le sujet que le peintre prétend traiter, le vrai sujet, au fond, c’est soi – non pas dans le sens idolâtre du petit soi, mais soi : l’être humain qui ose dire « je suis, je crois ». Le soi qui parle de l’universel, de ce qui nous tient vivant. Ce soi dans lequel un autre soi se reconnaîtra… Communion encore ! C’est cette ressemblance-là qui m’intéresse et elle passe par une affirmation. Le sujet est secondaire, sans doute, par ce qu’il représente mais primordial pour y accrocher tout ce qui aspire en nous à être exprimé et ne pourrait se dire sans cet « obstacle ».

Oui, je reviens malgré moi souvent à ces thèmes comme « l’Été » ou « le Jardin » qui sont ici représentés par plusieurs tableaux.

Parce qu’un homme et une femme sous un arbre m’a toujours paru un sujet inépuisable – je rêve aussi à des « Jupiter et Antiope », à des « Nativité » et autres nouveautés ! Mais j’ai plaisir à travailler d’après les gens que j’aime, les amis qui me donnent de leur temps, et à défaut, toujours ces autoportraits dans lesquels j’essaie d’oublier que c’est moi que je peins ! Dans mon émotion devant les grands Flandrin, il y avait aussi le fait de ces sujets intemporels habités par l’intimité du peintre. Et aussi, je dois dire, ce lien très particulier du peintre à ses amateurs, à ses contemporains, à ceux qui l’ont élu en vivant avec lui. J’aime aller au Musée, et l’idée aussi de Musée, mais depuis très longtemps je suis profondément touchée par ces maisons où habitent nos peintures et où l’on vit un peu, par procuration, l’heureuse communion espérée !

C’est vrai que ce terme a été « revisité », comme on dit, au point de désigner exclusivement des artistes qui appartiennent à une certaine esthétique ! La grande exigence d’un artiste est-elle de faire allégeance à son époque, ou bien de conquérir sa vérité ? Qu’est-ce que la vérité ? Oser aimer ce qu’on aime, par exemple, et le dire ingénument. On peut s’éprouver contemporain d’artistes de toutes les époques de l’histoire – sans exclure celle d’aujourd’hui. On se sent contemporain des artistes qui nous émeuvent, dont l’humanité parle à la nôtre. De ceux dont la liberté inspire la nôtre, parce qu’ils ont intégré pleinement, avec leur époque, malgré leur époque, leur vérité unique et partagée.

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